L’histoire de l’art du Luxembourg s’écrit continuellement : c’est ce que nous constatons chaque jour au sein du Lëtzebuerger Konschtarchiv, dont une des missions est de mettre en évidence le cheminement historiographique, parfois surprenant, qui s’opère lors des recherches menées au Luxembourg.
En effet, dans le cadre de la rédaction de la biographie sur l’artiste luxembourgeoise Marie-Thérèse Glaesener-Hartmann (1858-1923) pour le dictionnaire en ligne sur les artistes luxembourgeois.es (konschtlexikon. lu), nous avons réussi à compléter les données biographiques de l’artiste, avec quelques découvertes en prime.
Originaire d’une famille d’architectes et d’artistes de la capitale luxembourgeoise, Marie-Thérèse Hartmann s’initie à la peinture par la main de son père Antoine Hartmann (1817-1891), lui-même architecte et aquarelliste. Encouragée par ce dernier, elle décide de faire des études artistiques à l’étranger. Düsseldorf, Munich et Paris étant des centres culturels d’importance à l’époque, elle se rend d’abord à Düsseldorf en 1877, puis à Munich en 1879-1880. Ensuite, selon plusieurs sources, l’artiste aurait fréquenté de 1983 à 1984 l’atelier de deux artistes français à Paris : celui de Jean-Jacques Henner (1829-1905) et celui d’Émile-Auguste Carolus-Duran (1838-1917).

Élève de Jean-Jacques Henner à Paris
Il faut savoir qu’en France, jusqu’en 1897, les femmes n’étaient pas admises à l’École des Beaux-Arts, exclusivement réservée à la gent masculine. Dépourvues de formation artistique officielle, elles se sont alors majoritairement tournées vers des ateliers privés, comme celui de Henner et Carolus-Duran à Paris. Comme cela a été mis en évidence dans le très intéressant catalogue d’exposition intitulé Elles. Les élèves de Jean-Jacques Henner publié par le Musée national Jean-Jacques Henner (2024), ces ateliers privés étaient les seuls lieux au service de la formation des femmes peintres. Cependant, en consultant de plus près le catalogue de cette exposition, nous avons pu relever que l’artiste luxembourgeoise ne figure pas dans la liste des 152 élèves de Jean- Jacques Henner répertoriés dans l’ouvrage. Dès lors, il nous a semblé capital de partir à la recherche d’une source primaire – originale – permettant de prouver l’authenticité des informations relatives à la formation de Hartmann chez Henner, afin de permettre au musée de compléter son travail de recherche.

Les archives du docteur Jean-Pierre Glaesener
Nous savons qu’après cinq ans de formation à l’étranger, l’artiste retourne au Luxembourg et se marie avec Mathias Glaesener (1858-1924), avocat et futur Conseiller à la Cour supérieure de Justice. Cette union maritale nous amène tout naturellement à nous mettre en lien avec Madame Marie- Françoise Glaesener, présidente honoraire des Amis des Musées d’art et d’histoire du Luxembourg. Grâce à son concours bienveillant, nous sommes autorisée à consulter les archives de Jean-Pierre Glaesener (1831-1901), le beau-père de l’artiste afin de retracer la source primaire recherchée. Dans les différentes sources parcourues, antérieures à 1901, date de décès de l’auteur, nous avons pu retrouver la source primaire manuscrite suivante : 1883 und 1884 der Porträtmaler : Carolus Duran und J. J. Henner in Paris. Partant, nous avons contacté Madame Marie Vancostenoble, assistante de conservation et de régie des oeuvres au Musée Henner, pour lui proposer – sur base de cette source – d’inclure le nom de Marie-Thérèse Hartmann dans la liste des élèves de Henner et ainsi faire justice au parcours international d’une artiste luxembourgeoise, formée dans le milieu parisien.
Il est intéressant de relever que cette source primaire nous a conduit à une autre trouvaille. En effet, le « dossier rouge » – appelons-le ainsi – auquel nous avons accès, contient les archives du docteur Jean- Pierre Glaesener ainsi qu’un conglomérat d’archives (biographiques, financières, littéraires, etc.) dont notamment l’important ouvrage intitulé Le Grand- Duché de Luxembourg historique et pittoresque publié en 1885. Et dans ce dossier, nous avons repéré une petite peinture très fine représentant l’auteur des archives « Johannes Petrus Glaesener, medicus. » (nom en latin), réalisée par sa belle-fille, Thérèse Hartmann. La peinture est signée et datée de 1892 !

Intérieur (« Le sien ») : Tableau avec son auto-portrait
De plus, grâce à une photographie issue des archives, nous avons également pu compléter les données biographiques du fils de l’artiste, né en 1888 et décédé à l’âge de onze ans. Enfin, nous avons en passant réussi à identifier le personnage dépeint par l’artiste dans son tableau Intérieur (« Le Sien ») de 1902, faisant partie des collections du Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art (MNAHA). Sur cette toile représentant l’atelier de l’artiste, nous pouvons découvrir le portrait de son fils Johann Peter Anton et son autoportrait sur lequel elle s’est représentée en tant qu’artiste peintre avec une palette à la main. Ces trois portraits témoignent du grand talent de l’artiste luxembourgeoise, reconnue pour ses qualités de portraitiste à l’époque dans son pays natal. Il faut savoir que son maître Jean-Jacques Henner était aussi réputé pour son art du portrait. En somme, la consultation des archives du docteur Jean-Pierre Glaesener nous aura non seulement permis de trouver l’information recherchée sur la formation de Mme Hartmann à Paris, mais encore de mettre fortuitement en évidence plusieurs trésors insoupçonnés. Nous remercions infiniment la famille Glaesener- Hartmann pour nous avoir aidée dans nos recherches.
Musée national Jean-Jacques Henner : www.musee-henner.fr
Texte: Malgorzata Nowara - Photos: Éric Chenal