Le MNAHA a récemment pu acquérir un deuxième tableau de la série des paysages luxembourgeois commandés par le Roi Guillaume II des Pays-Bas, Grand-Duc du Luxembourg. Barend Cornelis Koekkoek, né à Middelburg, en Zélande, est l’un des plus importants peintres de paysage de son époque. Dès l’âge de dix-sept ans, il participe régulièrement à des expositions. Ses premiers dessins portent sur les paisibles paysages de Zélande. Grâce à une bourse du roi des Pays-Bas, le jeune peintre talentueux peut étudier à l’Académie royale des beaux-arts d’Amsterdam. Ses professeurs sont Jan Willem Pieneman (1779-1853) et Jean Augustin Daiwaille (1786-1850). Au début, il doit copier les oeuvres des anciens maîtres, mais il complète ces pièces par des figures rajoutées de sa propre main.

Les premiers paysages qu’il peint datent de 1823, l’année où il obtient son diplôme de l’Académie. Ses oeuvres s’apparentent formellement à la peinture de paysage hollandaise du XVIIe siècle, qui a connu de grands honneurs, mais présentent une approche beaucoup plus raffinée et sensible du motif pictural. Par rapport à ses débuts, les oeuvres des années 30 présentent dans l’ensemble une structure beaucoup plus compliquée et un décor plus riche. C’est finalement dans les années 40 du XIXe siècle que le peintre atteint l’apogée de sa renommée. Ses paysages rhénans, principalement allemands, créés dans sa tour-atelier de Clèves, le «Belvédère», construite en 1843, étaient très recherchés.

Il acquiert une popularité supplémentaire en 1841 en fondant une académie de dessin à Clèves, le «Zeichen-Collegium», ainsi qu’en publiant Erinnerungen und Mitteilungen eines Landschaftsmalers («Souvenirs et communications d’un peintre paysagiste»), qui lui vaut une grande reconnaissance. Ses honneurs officiels ne s’arrêtent pas là: il reçoit à plusieurs reprises la médaille d’or à Paris, la croix de chevalier de la Légion d’honneur ou l’ordre de Léopold. Il compte désormais parmi ses commanditaires des personnalités comme le tsar Alexandre II de Russie ou le roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse.

Vue de la vallée de l'Eisch à Luxembourg, avec le château de Hollenfels en arrière-plan (1847), par Barend Cornelis Koekkoek

Vue de la vallée de l'Eisch à Luxembourg, avec le château de Hollenfels en arrière-plan (1847), par Barend Cornelis Koekkoek

Paysages atmosphériques

C’est entre 1846 et 1848 qu’il réalise ses tableaux les plus importants, un cycle de neuf grands paysages commandés par le roi de Hollande Willem II lors d’unvoyage au Luxembourg en sa compagnie. Ces paysages lointains se caractérisent par le motif de l’envol, obtenu en surélevant le point de vue du spectateur, ainsi que par la générosité frappante avec laquelle les différents éléments du tableau sont répartis dans l’espace. Koekkoek reflète des paysages clairs et agréables. Notre dernière acquisition montre à l’arrière- plan le château de Hollenfels, que Guillaume II a peut-être vu lors d’un voyage au Luxembourg en mai 1845. Du cycle de neuf paysages seuls huit ont été effectivement exécutés, dont l’un a été détruit plus tard dans un incendie. Trois autres ont disparu depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette oeuvre est l’une des quatre peintures restantes de la série. Une autre oeuvre de la série, Vue du château de Larochette (1848) de Koekkoek, a été acquise par le MNHA en 2016 avec le soutien du Fonds culturel national et des Amis des musées grâce à une campagne de crowdfunding («Tous mécènes d’un Koekkoek»), ayant généré plus de 100.000 €.

Au dépôt du musée, l’équipe restauration a fait installer en miroir les deux Koekkoek de nos collections: la précision topographique privilégiée  par le peintre est remarquable.

Au dépôt du musée, l’équipe restauration a fait installer en miroir les deux Koekkoek de nos collections: la précision topographique privilégiée par le peintre est remarquable.

Portrait d'une contrée

Comme tous les tableaux de Koekkoek, la Vue de la vallée de l’Eisch à Luxembourg, avec le château de Hollenfels en arrière-plan (1847) révèle la grande maîtrise de l’artiste à orchestrer la lumière. S’il privilégie les paysages fantaisistes idéalisés qu’il «compose» en combinant divers éléments, les paysages luxembourgeois qu’il peint pour Guillaume II se distinguent par leur précision topographique. Le château de Hollenfels se trouve dans les environs de Mersch, pas loin de Schoenfels. Il est situé sur une paroi rocheuse dans laquelle des grottes et des tunnels ont été creusés, ce qui lui a donné son nom. La construction remonte au moins au XIIe siècle. La tour gothique a été ajoutée en 1380 et existe encore aujourd’hui. Les autres parties du château de Hollenfels ont été ajoutées pour la plupart en 1729 et ont été terminées en 1921 dans un style que l’on pourrait qualifier de baroque. Sur la toile de Koekkoek, ce n’est pas seulement l’étendue du panorama qui frappe, mais aussi l’incandescence chaude de la lumière de l’après-midi.

Dans l’oeuvre de Koekkoek, cette lumière joue un rôle central, mais elle est justement absente des paysages luxembourgeois - à l’exception de ce tableau. À cet égard également, il s’agit d’un complément aussi intéressant qu’important à l’oeuvre de Koekkoek déjà présente au MNAHA, la Vue du château de Larochette (1848). Le cadre est original et en très bon état, ce qui ajoute encore à la puissance et à l’attrait de la présentation. Avec ces deux paysages de Koekkoek, la narration du contexte et la réception de la célèbre série du Luxembourg par le visiteur deviennent beaucoup aisées.

Vue sur le château de Larochette (1848) de Barend Cornelis Koekkoek est entré en 2016 dans les collections du musée grâce à une action de souscription publique.

Vue sur le château de Larochette (1848) de Barend Cornelis Koekkoek est entré en 2016 dans les collections du musée grâce à une action de souscription publique.

Technologie

L’acquisition de cette deuxième oeuvre du cycle et sa restauration ont permis une étude approfondie de la technique utilisée par le peintre. La stratigraphie, c’està- dire la superposition des couches, ainsi que l’exécution de ces deux oeuvres sont similaires sur plusieurs points. Avant tout, il s’agit de deux peintures à l’huile sur toile. La toile est le support le plus répandu au XIXe siècle. Il remplace le support bois au cours du XVe siècle pour plusieurs raisons dont principalement sa légèreté et sa facilité de mise en oeuvre. Notons également le développement de l’industrie textile en Flandres qui rend les textiles abondants et peu coûteux. Les toiles sont toutes les deux tendues sur des châssis en bois qui ne sont plus les châssis originaux. En effet, au cours du temps, ceux-ci ont été remplacés lorsque les toiles ont été doublées pour renforcer le support en collant une nouvelle toile au revers.

Avant de peindre sa composition sur le support toile, le peintre a d’abord posé une couche de préparation monochrome. Elle répond à deux fonctions. La première est technique, elle assure la bonne adhésion entre la toile et la couche picturale finale, tout en lissant la surface. La seconde est esthétique. En effet, la teinte de la couche de préparation joue un rôle optique important. L’association de différentes couleurs permet de varier les effets picturaux. Les couleurs choisies nous en disent dès lors beaucoup sur les pratiques de l’artiste.

La construction de la composition des deux peintures est saisissante de similarité.

La construction de la composition des deux peintures est saisissante de similarité.

Du blanc pour un effet vibratoire

Nos deux oeuvres présentent une préparation blanche. Ceci permet d’amener énormément de lumière à la composition et de faire vibrer les couches transparentes appliquées par-dessus. Le choix d’un ton blanc est également représentatif puisqu’à partir de la fin du XVIIIe siècle, dans le nord de l’Europe, les préparations s’éclaircirent. Dans le cas de Vue du château de Hollenfels, la préparation est visible sur les bords de tension originaux, ces zones de la toile qui sont repliées contre les bords latéraux du châssis pour assurer la tension. La toile a donc soit été préparée sur un autre châssis que celui qui a permis de réaliser la composition finale, soit été préparée industriellement, pratique commune au XIXe siècle suite à la révolution industrielle. Malheureusement, ces informations ne peuvent pas être vérifiées sur la Vue sur le château de Larochette puisque les bords de tension originaux de la toile ont été coupés lors d’une restauration antécédente.

Avant de peindre, l’artiste peut arrêter sa composition avec un dessin sous-jacent. Dans le cas de la Vue du château de Hollenfels, le peintre a réalisé une esquisse au pinceau. Aucun dessin n’est visible dans le cas de la Vue sur le château de Larochette.

Balayage d’halos de lumière UV sur des détails de l’œuvre.

Balayage d’halos de lumière UV sur des détails de l’œuvre.

Vocabulaire pictural

La construction de la composition des deux peintures est également tout à fait semblable. Un contraste est créé entre le bas et le haut de la composition. Effectivement, le ciel est traité de manière couvrante alors qu’au niveau de la végétation, l’artiste joue avec les transparences. Attardons-nous davantage sur la construction de la végétation qui nous semble particulièrement intéressante. La stratigraphie est la suivante: la préparation blanche, des tons intermédiaires fins et transparents, les détails finaux opaques et plus épais. Ces tons intermédiaires vont du brun au vert et sont localisés par zones. Ils sont transparents et vite brossés, ce qui laisse transparaitre la couche de préparation blanche et leur confère une certaine luminosité. Structurés par les coups de pinceaux, ils donnent de la vibration aux zones clés. Ces couches sont particulièrement visibles sur les photographies infrarouges. Ils restent visibles comme «ton moyen» ou ton de fond pour la réalisation de la verdure. Les détails de la végétation sont peints par-dessus. Il s’agit de touches extrêmement spontanées et fines qui attestent de la grande dextérité du peintre. Ces touches vont du plus foncé au plus clair et permettent ainsi le modelé.

La construction maîtrisée de la matière permet de magnifier la perspective et la profondeur de l’ensemble de la composition. Tous ces éléments ont été observés sur les deux oeuvres. Ils constituent donc clairement un vocabulaire spécifique au peintre.

Le ciel est traité de manière couvrante alors qu’au niveau de la végétation, l’artiste joue avec les transparences.

Le ciel est traité de manière couvrante alors qu’au niveau de la végétation, l’artiste joue avec les transparences.

Étude multispectrale

Une particularité technique peut également être observée sur les deux tableaux. Si la construction de la composition indique l’utilisation de la peinture à l’huile, la fluorescence induite par les rayons UV montre localement les caractéristiques d’une résine. Ces zones fluorescentes sont limitées aux tons brunsverts, «ton moyen» des arrière-fonds de la végétation.

L’artiste aurait-il eu recours au fameux résinate de cuivre, un sel de cuivre dissout à chaud dans un mélange d’huile-résine pour faire disparaître tout grain? Cette technique utilisée depuis la fin du MoyenÂge pour obtenir des tons verts transparents et limpides a progressivement été abandonnée au XIXe siècle au profit des nouveaux pigments verts synthétiques. Finalement une lame mince fabriquée à partir d’un microéchantillon de peinture, révèle l’utilisation d’un pigment fin, vert émeraude, à grains arrondis, légèrement transparents pour donner la teinte. La fluorescence provient d’une couche intermédiaire transparente, certainement un vernis pour isoler le «ton moyen» avant de poser les détails des feuillages. L’aspect sous microscope optique laisse supposer l’utilisation du vert Véronèse, un acéto-arsénite de cuivre. Synthétisée pour la première fois en 1814, cette couleur vive et stable a été largement utilisée par les peintres du XIXe siècle, dès sa découverte. Ce n’est que pendant la seconde moitié du XXe siècle que ce vert, aussi appelé de Schweinfurt, a été progressivement abandonné à cause de sa forte toxicité.

L’étude des deux paysages d’une même série a permis de relever des particularités de la technique de Barend Cornelis Koekkoek. Elles ont de plus pu être confirmées en comparaison avec d’autres oeuvres de sa main dans notre collection. Le peintre s’inscrit certes dans une lignée d’artistes nord européens du XIXe siècle de par ses sujets, ses interprétations et son exécution technique, mais sa maitrise témoigne aussi d’une facilité et d’une dextérité extrêmement abouties permettant un rendu léger créant un espace pictural avec beaucoup de profondeur enrichi de détails tout aussi remarquables.

Texte: Ruud Priem, Muriel Prieur, Simone Habaru et Laura Guilluy - Images: MNAHA/Éric Chenal

À noter que Vue de la vallée de l’Eisch à Luxembourg, avec le château de Hollenfells en arrière-plan, huile sur toile (1847), n’a pas encore rejoint les salles d’exposition du musée.