L’exposition L’alchimiste, à l’affiche du Nationalmusée um Fëschmaart jusqu’au 15 octobre, présente deux esthétiques très différentes de l’oeuvre d’Arthur Unger: les psychogrammes en encre de Chine sur papier, par nature noir et blanc, et les pyrochimiogrammes sur cuivre électrolytique, polychromes dans toutes les nuances de la palette.

Attardons-nous sur cette dernière technique pour comprendre la magie colorée qui en résulte. Dans sa «peinture» sur cuivre, Arthur Unger utilise une technique similaire à celle appliquée sur papier: des dessins à l’encre de Chine au pinceau de calligraphie. Après un séchage partiel, l’artiste les
passe sous l’eau, dans des mouvements orientés, pour dissoudre en partie le noir et le déplacer. Sa longue expérience lui permet ainsi de garder un certain contrôle dans une démarche qui pourrait sembler très aléatoire, en alliant ces formes noires avec la coloration du métal.

Mystérieuse iridescence

Son support pour ce travail est le cuivre électrolytique. Il s’agit d’un métal presque pur, de fabrication industrielle, tiré en feuils de différentes épaisseurs et livré en rouleaux. Dans la vraie vie, cette matière première est surtout utilisée pour fabriquer des circuits imprimés. Dans la vie imaginée par l’artiste, il s’agit du support idéal pour ses peintures… sans peinture.

Au lieu d’appliquer des couleurs, Arthur Unger va les faire surgir par le feu, tel un alchimiste. Son pinceau est un brûleur à gaz avec lequel il fait chauffer le métal. L’oxydation qui résulte de cette démarche provoque l’apparition d’une multitude de couleurs jouant avec les dessins délavés à l’encre de Chine. Mais sachant que l’oxyde de cuivre est un sel noir et opaque, pourquoi les créations d’Arthur Unger sont-elles iridescentes et illuminées par l’intérieur avec des couleurs quasiment immatérielles?

Quand on chauffe lentement une surface de cuivre, le métal change de couleur en passant par une série de tons dorés, orange, fuchsia, pourpre, bleu foncé et bleu clair avant de devenir gris/noir. Ce dernier stade est la couleur de l’oxyde de cuivre. Vu la succession et la teinte des couleurs obtenues, elles n’ont rien à voir avec les couleurs de l’arc-en-ciel qui passe du violet par l’indigo au bleu, suivi du vert, du jaune et de l’orange pour se terminer en rouge sans même contenir le magenta présent sur le cuivre.

Cette suite bien connue est due à la décomposition de la lumière blanche par l’eau qui agit comme un prisme. Tandis que les couleurs d’Arthur Unger existent grâce à un phénomène d’interférence résultant de la nature ondulatoire de la lumière, de sa réflexion sur une surface brillante et de l’épaisseur très fine et variable de recouvrement de cette surface par le fil d’oxyde de cuivre.

Telles des bulles de savon

Je m’explique: avant de voir un oxyde de cuivre noir à l’oeil nu, la couche doit avoir une certaine épaisseur. En-dessous de ce seuil, elle reste translucide. Cela veut dire qu’une partie de la lumière incidente sera réfléchie par la couche d’oxyde en formation et qu’une autre partie va la traverser et être réverbérée par la surface polie du métal sous-jacent. Ces deux réflexions vont être perçues par notre oeil de façon désynchronisée, l’une ayant un chemin légèrement plus long que l’autre. Elles vont créer des interférences. Si les ondes sont décalées dans l’espace d’un multiple entier de leur longueur d’onde (de creux à creux), c’est-à-dire qu’elles sont parallèles, elles vont s’additionner pour intensifier la couleur. Si au contraire, le multiple est d’une demi-longueur d’onde et que les creux de l’une correspondent aux crêtes de l’autre, elles vont s’annuler. Entre les deux, il y aura atténuation.

Rappelons que la lumière visible est composée d’ondes électromagnétiques d’une longueur de 380 à 780 nm. La synthèse additive de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel se fait dans notre oeil pour donner du blanc. Si on enlève une ou plusieurs composantes spectrales visibles de la lumière blanche, les longueurs d’onde restantes seront perçues comme colorées.

Un phénomène quotidien

En fonction de son épaisseur, la couche mince d’oxyde va donc intensifier différentes longueurs d’ondes et en atténuer, voire annuler d’autres, ce qui produit la coloration du métal. Cela fonctionne le mieux, si le film formé en surface a une épaisseur à peu près équivalente aux longueurs d’ondes de la lumière visible. Des gammes spectrales spécifiques entières sont alors atténuées, résultant dans des couleurs interférentielles très saturées. Plus le film devient épais, plus les gammes spectrales renforcées ou atténuées se multiplient et la couleur perçue faiblit… jusqu’à ce que le film soit trop épais pour laisser passer la lumière. À ce stade, on voit le gris/noir de l’oxyde de cuivre.

Au quotidien, on peut observer de multiples exemples de ce phénomène dans les carapaces d’aspect métallique des coléoptères, une tache de carburant sur un flaque d’eau, le fond d’une casserole en inox encore un peu chaude à la sortie du lave-vaisselle ou encore les bulles de savon de notre enfance.

Et ce n'est pas tout

Mais l’artiste n’en reste pas là. Il va ré-intervenir une troisième fois sur ses oeuvres pour rehausser ou camoufler différentes zones. Un crayon gras permettra de colorer différentes formes obtenues par le travail du feu et de les saturer pour les mettre en avant dans la composition. Une peinture appliquée au pinceau sur des plages plus larges créera un fond.

Ces trois étapes, différentes par leur technique, jouent en plus sur les tons avec la matérialité de la couleur. Les couleurs interférentielles proviennent de la matière intrinsèque du support pictural. L’encre de Chine est composée de noir de fumée finement broyée. La suspension colloïdale des molécules de carbone dans l’eau forme après séchage une fine couche indélébile noire, qui paraît presque sans corps, bien que clairement superposée au cuivre.

Enfin, le crayon gras ou la peinture appliquée au pinceau sont constitués de pigments et de charges dans des liants épais qui marquent l’application par de fins empâtements faisant disparaître le support. En somme, les psychogrammes sont des oeuvres d’une extrême complexité technique avec une matérialité à différents niveaux et une recherche de couleurs encore beaucoup plus sophistiquée qu’il n’y paraît de prime abord. C’est ce que j’ai tenté d’illustrer lors de ma visite thématique «Through the lens of» (06.07.2023) en ma qualité de spécialiste de la polychromie.

Texte: Muriel Prieur / Images: Eric Chenal