Au sens propre du terme «histoire» de l’art, la nouvelle exposition, qui ouvrira ses portes le 28 juillet, relatera une tranche de vie de la société luxembourgeoise du XVIIIe siècle. À travers les peintres luxembourgeois, leur vie, leur statut, leur travail, le public découvrira l’aspect culturel de ce milieu rural du Duché.
Notre contrée pauvre n’a guère produit de grand maître sous l’ancien régime. Le plus connu de l’époque qui nous intéresse ici, Pierre-Joseph Redouté, a fait carrière à l’étranger. Cité comme peintre français, le «Raphaël des fleurs» fait exception dans le lot. Il s’agit plutôt d’artistes-artisans honnêtes s’inspirant de modèles en circulation à travers des gravures, copiant des compositions connues ou se laissant influencer par des artistes itinérants pour orner nos églises en plein essor au 18e siècle.
D’autres ont fait les portraits des nobles de la région, quelques fois un peu raide, mais toujours des documents de leur temps très précieux, donnant un visage à ce qui sans cela, resterait de simples inscriptions dans des archives. Ensuite il y les créations plus décoratives, natures mortes ou allégories.
C’est ce métier difficile de peintre dans une région éloignée des grands centres artistiques que Henri Carême a étudié dans sa recherche de doctorat qui paraitra en accompagnement de l’exposition. Au-delà de la création picturale, c’est donc une histoire sociale et culturelle que le MNAHA se propose de présenter à travers le nouvel accrochage. Le parti-pris est du coup de s’éloigner d’une présentation traditionnelle de tableaux alignés sur des cimaises.
À la manière d’une galerie baroque, le spectateur pourra découvrir un foisonnement de couleurs, de formes et de sujets mélangés sans hiérarchisation sur un grand mur. Dans leur image miroir, sur la cloison opposée, se reflètera l’histoire de leur genèse, des témoignages de leur réception et maintes informations d’arrière-plan contextualisant et révélant un côté passionnant de ces peintures perçues peut-être, sans cela, comme secondaires.
Immersion dans l'histoire
L’idée de cette mosaïque hétéroclite de grand format a pris son essor dans une collecte minutieuse d’informations lors de visites d’églises rurales, de collections locales ou privées et d’archives. Compilées de façon statique dans le volume du doctorat, elles doivent être animées par une narration pour le grand public. Ceci se fera d’une part à travers des projections d’interviews et de documentations réalisées par l’équipe de Danse la pluie, spécialistes du multimédia pour musées.
Avec les curateurs scientifiques et internes, ils construisent la trame des histoires de l’Histoire de la peinture du Duché du Luxembourg au 18e siècle. Le but est de rendre les récits tangibles pour tout-un-chacun et d’emmener les visiteurs au-delà de la salle d’exposition sur les lieux, ecclésiastiques ou civils, des événements passés.
D’autre part, le travail de l’équipe technique du musée est de construire le décor de cette mise en scène afin que le visiteur ait une expérience d’immersion dans le discours de l’exposition. Mais il s’agit aussi et surtout de collecter physiquement les œuvres à exposer. Ceci comprend entre autre des visites in situ à la rencontre des acteurs en charge de ce patrimoine: musées et archives bien sûr, collectionneurs privés d’autre part, mais également dans les églises.
Qu’elles soient toujours en activité et sous la responsabilité de l’archevêché ou désacralisées dans le giron des communes. Il s’agit d’évaluer et de documenter l’état des œuvres, ainsi que de définir la manière dont elles peuvent être déplacées. Représentation de Saint ornant une nef ou un transept, antependium ou tableau de maître-autel, toutes demandent un traitement sur mesure à l’instar du Martyre de saint Sébastien peint par Dominique Liden en 1713 d’après Gérard Seghers et Hans van Haachen de l’église de Peppange.
In situ
Ce tableau, de la taille d’un homme, est enchâssé dans le maître-autel de l’église Saint Hubert. Le sanctuaire, désacralisée lors de la séparation de l’Etat et de l’Église, appartient avec son mobilier à la commune de Roeser. Ceci n’est pas le cas pour toutes les églises désacralisées. Il a donc d’abord fallu clarifier la situation légale du tableau afin d’établir le contrat de prêt, certes une formalité, car aussi bien le fonds cultuel que la commune étaient partant pour le projet.
Pour accéder au tableau d’un maître-autel, il faut en règle générale, démonter partiellement le meuble sur l’arrière. Ceci était aussi le cas à Peppange. Une partie de l’équipe du MNAHA, comprenant e.a. menuisier, restaurateur, gestionnaire de collection, s’est donc déplacée à la rencontre de ce patrimoine rural. Après une pré-visite d’évaluation des lieux, le camion du musée, chargé d’échelles, d’un échafaudage et des outils nécessaires au démontage du dos de l’autel, s’est mis en route direction campagne.
Pour la majorité de l’équipe, le travail dans une église était chose nouvelle. Croyant ou non, notre éducation d’inspiration judéo-chrétienne engendre en nous un respect inconscient face au mobilier liturgique. Il a par conséquent fallu surmonter une certaine gêne pour monter, pieds joints, sur l’autel majeur.
Quelques remarques et rires nerveux plus tard, l’embarras était dissipé et l’équipe avait retrouvé son aisance professionnelle habituelle pour déposer le tableau de son portique: enlever les panneaux dorsaux de l’autel pour accéder aux fixations, sécuriser le cadre par l’avant, dévisser les attaches sur l’arrière et descendre doucement l’œuvre en veillant de bien passer entre les colonnes, au-dessus du tabernacle et la table d’autel pour la poser, dans un premier temps, devant l’antependium. Une fois le constat d’état pour l’assurance rempli, la peinture est emballée et prête pour le voyage vers notre dépôt où toutes les œuvres seront collectées avant de les transférer en bloc au musée pour le montage.
Ici, pas besoin de remplacement, l’église de Peppange accueillant des cours de création artistique et des brocantes. D’autres églises, toujours en activité, demandent un autre traitement. À la place de l’œuvre prêtée pour l’intérêt du plus grand nombre, les fidèles reçoivent une copie faisant office, le temps de la durée de l’exposition. Ceci est par exemple le cas pour l’antependium de l’église Saint Lambert d’Eppeldorf. Marie-Madeleine et son cadre sont reproduits sur une toile, replacée devant la table d’autel de droite à l’enlèvement de l’original.
Ainsi chaque endroit, chaque œuvre recevra sa réponse personnalisée face aux demandes spécifiques, qu’il faille monter un échafaudage complexe pour accéder à des peintures accrochées en hauteur au-dessus de bancs non déplaçables comme à Stenay ou faire un enlèvement dans l’abbaye d’Orval en s’adaptant au planning du frère économe. Une fois toutes réunies, elles inviteront de concert nos visiteurs dans la vie des peintres luxembourgeois du XVIIIe siècle rehaussée par une mise en scène minutieusement orchestrée.
Texte: Muriel Prieur - Images: Éric Chenal
Source: MuseoMag N°III 2023
D’histoires et d’art - Peindre au Luxembourg au XVIIIe siècle du 28 juillet 2023 au 28 janvier 2024 au Nationalmusée um Fëschmaart.