Parfois, les services techniques du musée sont confrontés à des demandes qui, de prime abord, semblent évidentes, mais qui, après consultation, mettent en évidence le besoin d’un savoir-faire insoupçonné. 

L’artiste Alexandra Uppman, invitée à réaliser un live drawing in situ dans le cadre de notre exposition Land in Motion, créera un triptyque destiné à rejoindre la collection du musée. Vu la dimension du dessin, la fabrication et la mise en place du support devront se faire par nos ateliers. L’avant-projet de l’artiste spécifie qu’elle travaillera au fusain sur des panneaux préparés en amont et que le geste débordera sur le mur autour de l’oeuvre proprement dite. Il fallait donc budgétiser l’achat du matériel à fournir par le musée et étudier les meilleures couches préparatoires pour des raisons de conservation. 

Là où les artistes et curateur.ices convoquent des termes comme création et expression, les restaurateurs les traduisent immanquablement par technique et conservation. Qui dit fusain sous-entend contrastes saisissants, estompages et dégradés pour produire la force expressive d’une oeuvre. Mais le fusain est aussi, par sa nature de bois carbonisé, une technique fragile, qui tend à s’étaler, barbouillant les alentours ou floutant le trait posé. Même fixée, la surface produite reste sensible au toucher et requiert des mesures de précaution pour la manipulation comme p.ex. un cadre de transport spécifique pour éviter que l’oeuvre n’entre en contact avec son emballage. 

Faire une fixation… 

Vous l’aurez deviné : nos services se sont longuement entretenus avec l’artiste en amont du projet pour définir les matériaux à utiliser et préparer le support. Ainsi aura-t-il été question, lors du choix de la couche préparatoire, de « granulométrie d’accroche », c’est-à-dire l’étude la distribution des particules à la surface du support favorisant la fixation du fusain. « Honnêtement, j’ai toujours utilisé ce que j’avais à disposition dans mon atelier... Ce n’est probablement pas la solution idéale pour créer une base de dessin, mais à condition que le gesso soit dilué à l’eau conformément aux instructions et finement poncé, j’ai toujours été très satisfaite du résultat », nous confie Alexandra Uppman, visiblement ravie d’être épaulée par notre équipe de conseillers. Il se trouve en effet que la préparation de la couche picturale est souvent sous-estimée dans la production artistique alors qu’elle n’a rien d’une étape anodine. Elle unifie le support, lui donne le ton de fond, absorbe les mouvements du substrat et permet à la technique utilisée de bien se fixer. Bref, une préparation adéquate garantit la pérennité de l’oeuvre d’art. 

Nous avons par conséquent proposé à Alexandra Uppman de faire des plaquettes test de différentes préparations du commerce et d’une série de matières de fabrication maison afin de vérifier leur comportement lors de l’application par l’artiste. Lors des essais, elle a essayé avec enthousiasme sa technique de dessin avec des crayons de fusain reconstitué dont le faible pourcentage de liant huileux a permis de déterminer le fond le plus agréable pour l’expression de l’artiste, visiblement reconnaissante de l’instructif échange technique. 

Main dans la main 

Une deuxième série de plaquettes produites avec la technique retenue a été utilisée pour tester différents types de fixatifs visant à consolider le fusain. Objectif : vérifier que les zones de préparation ne changent pas d’aspect en devenant brillantes ou colorées sous l’effet de la couche de finition. 

En somme, ce qui au départ ne devait être qu’une simple demande de production d’un support adressée aux services techniques du musée s’est transformée peu à peu en une véritable échange interdisciplinaire autour de la préparation « idéale ». Et le choix final des produits a à la fois pu répondre aux critères de satisfaction de l’artiste et des restauratrices du musée. Cette démarche commune illustre l’importance des dialogues interdisciplinaires en amont d’une commande visant à intégrer nos collections. 

Text: Muriel Prieur - Images: Tom Lucas

Source: MuseoMag N° IV - 2025