Notre régie a eu fort à faire lors du transport d'une centaine de pièces de notre collection pour la Chine à l'occasion d'une grande exposition au Henan Museum.

Le programme de Small but Beautiful s’étend de la Préhistoire à nos jours et son titre résonne comme un récit de voyage du 19e siècle. Voyons plutôt l’envers du décor car ce pont culturel aujourd’hui jeté au Henan Museum entre le Luxembourg et la Chine aura été une gageure sur le plan logistique.

L’échange entre notre musée et celui du Henan, fleuron de Zhengzhou qui est la capitale de cette province centrale de Chine, a débuté en 2018 avec une exposition d’objets archéologiques sur les origines de la civilisation chinoise. De novembre 2018 à mars 2019, nous avons accueilli des trésors en bronze, en terre cuite et en jade d’une grande splendeur. L’invitation de présenter en retour nos joyaux en Chine a rapidement évolué d’une présentation archéologique vers une mise en scène de la culture luxembourgeoise, microcosme exotique aux yeux d’une nation comme la Chine.

Une fois le programme établi, les étapes préparatoires furent lancées: choix des oeuvres à présenter, arrêt d’une liste, retrait des objets exposés pour les regrouper au dépôt, passer en revue les fiches d’inventaire, les mesures, les photos HR et établir des constats. Le calcul des volumes des caisses, la définition de leur nature, l’estimation du budget et la production devaient se faire ensuite avec un sous-traitant spécialisé dans le transport d’art.


Projet remis aux calendes grecques

Comme souvent dans la vie, on a beau planifier, les choses ne suivent pas un cours linéaire. Ceci est surtout vrai en régie d’exposition. Si nous avions pu gérer les demandes des uns quant à la date de sortie des objets de l’exposition permanente, les requêtes des autres par rapport à des conditionnements spéciaux ou encore l’exigence de quelques restaurations ou ré-encadrements de dernière minute des troisièmes, rien ne nous avait préparé à une pandémie mondiale et le lockdown qui en a résulté. Tout fut suspendu, les projets reportés ou annulés, les prêts internationaux en cours bloqués à travers le monde.

Sans vision claire de la suite de la collaboration sino-luxembourgeoise, toute une série d’artefacts ont retrouvé leur place dans les salles de musée alors que d’autres n’avaient même pas encore été retirés. Heureusement, petit à petit, la vie a repris ses droits et les préparatifs concrets ont pu être relancés. Sur base des objets sélectionnés, plus de 200 lots, il a fallu faire un développement spécifiant chaque objet d’un lot, toutes ses composantes, les socles et moyens techniques de mise en oeuvre. Finalement la liste s’est élargie à un total de 397 objets distincts. Les constats d’état ont pu commencer avec leur documentation photographique sur les six faces des objets 3D permettant d’annoter toute faille de conservation.

Mais la crise sanitaire était loin d’être surmontée. Plusieurs confinements, d’abord en Europe, puis en Asie, rendaient le départ incertain. Il n’était pas envisageable d’engager des budgets pour la fabrication de caisses de transport, de réserver un vol cargo ou encore de faire les papiers d’exportation culturelle et de douane sans certitude de date. Ce n’est finalement qu’en 2023 qu’une date définitive a pu être arrêtée et un calendrier provisoire établi. La liste a été revue. La législation internationale sur les armes à feu a rendu certains objets incompatibles avec le projet et il a fallu leur trouver des remplacements. D’autres objets ont été échangés pour des raisons techniques de transport ou de montage sur place. Après l’été 2023, la sélection a pu été regroupée au dépôt afin de vérifier les constats initiés en 2019. Ceci a aussi permis de définir les conditionnements pour le transport aérien et d’estimer les volumes. Le rétroplanning a été établi prenant aussi en considération les travaux sur les autres projets du musée.


Murphy's law

Les caisses, commandées l’automne dernier, ont été livrées entre les fêtes de fin d’année afin de pouvoir commencer l’emballage dès la rentrée en janvier. Il nous fallait établir le poids exacte des chargements afin de réserver le vol. Mais il fallait aussi établir des listes d’emballage pour la douane et pour localiser spécifiquement chaque objet dans le volume de 45 conditionnements de transport en bois, une soixantaine de conteneurs en carton regroupant plus de 140 boîtes de différentes tailles et des grands objets démontés en plusieurs pièces. La liste d’objets a aussi servi à demander une licence ouverte d’exportation de biens culturels, préparer la facture pro forma pour la douane et assurer la collection. Elle était de plus la base pour le travail de scénographie des collègues chinois. Enfin, la régie a dû composer avec un agenda de haute voltige puisque la date de départ pour la Chine allait tomber au même moment que la réouverture de la nouvelle présentation permanente de la collection d’art moderne du Nationalmusée um Fëschmaart.

Ce projet avait aussi été postposé plusieurs fois en raison d’un interminable chantier de rénovation de la dalle de sol et du parquet du 4e étage. Il aura donc fallu réinstaller deux étages du musée en vue d’un vernissage le 14 mars et composer avec un départ tôt le lendemain matin pour gérer le transport d’un volume de 70 m3 de caisses contenant 8,5 tonnes de patrimoine. Heureusement qu’un décalage de sept heures séparait les demandes scénographiques in house des questions soulevées par nos homologues chinois. Parallèlement à l’accrochage de notre collection, nous avons dû régler les derniers détails. Des caisses climatiques trop grandes pour le scanneur de l’aéroport ont été sécurisées et scellées au dépôt sous la surveillance d’un spécialiste accrédité car il était impensable d’ouvrir les emballages d’objets fragiles dans les courants d’air du centre de fret pour une recherche d’explosifs. Trois camions se sont mis sur la route vers l’aéroport. Les équipes ont été scindées, les uns assurant le transfert et la mise sur palettes de la collection au Luxembourg, les autres s’envolant le même jour pour Zhengzhou afin d’accueillir les oeuvres sur place et d’assurer le montage. Sans compter l’engouement grandissant des médias, intéressés à couvrir le volet logistique de cette exposition hors les murs, assuré grâce au soutien de notre partenaire et sponsor officiel du projet: Cargolux.


Un pont, deux mesures

Ce qui en termes de «quality check» est la norme au Luxembourg ne l’est pas nécessairement en Chine. Ici l’accompagnement des oeuvres au centre cargo, les palettes à surveiller pour l’empilage et l’orientation des caisses ainsi que l’accès au tarmac pour le chargement de l’avion ne sont pas monnaie courante mais l’équipe de montage luxembourgeoise a été exceptionnellement autorisée à surveiller le déchargement de l’avion à l’aéroport de Zhengzhou en pleine nuit. Le lendemain, les caisses, libérées de leur emmaillotage de sécurisation pour le vol, ont été transférées au musée du Henan. Elles ont été mises en dépôt en attendant que les derniers détails de scénographie soient finalisés pour l’installation des objets. Entre-temps, la douane a procédé à des échantillonnages afin de vérifier, sur base des listes d’emballage, que les objets importés correspondent aux oeuvres déclarées. Un grand balai de caisses a alors débuté: ouvertures, sorties de sous-conditionnements, déballage, vérifications visuelles documentées par photos, ré-emballages et fermetures de conteneurs. La traductrice a été vite débordée par les demandes qui se multipliaient de tous les côtés. Arrivés au musée du Henan, nous avons pu constater l’étendue de la surface dévolue à notre exposition: plus de 1.600 m2, soit presque la moitié de notre site au Fëschmaart. Sur place, tous les objets sont mis en valeurs dans des vitrines. Les équipes sont formées par des binômes sino-luxembourgeois afin d’avancer plus vite. La sécurité des artefacts prime, comme pour toute exposition, même s’il y a des délais à respecter. Mais le protocole n’est guère le même dans l’empire du milieu, ce qui a conduit à un véritable casse-tête chinois. Chaque décision de changement par rapport au plan scénographique doit être validée par différents degrés de l’hiérarchie avant qu’une ribambelle d’artisans n’intervienne pour les exécuter en un rien de temps. Ce qui est certain, c’est que les scénographes chinois n’ont pas lésiné sur les moyens: le patrimoine luxembourgeois sera contextualisé par de larges photos et des panneaux explicatifs illustrés. Une médiation visuellle forte est capitale pour accueillir les 8.000 visiteurs qui défileront à vivre allure à travers les salles du Musée du Henan jusqu’au 3 août.

Muriel Prieur